Très jeune nous plongeons dans l’école pour suivre des programmes d’apprentissage. Au fil du temps, ce système nous apprend principalement à contrôler, supprimer et nier l’énergie du corps pour résister à ses appels afin de rester assis sur une chaise, se remplir la tête de stratégies et de leçons pour réussir en tant qu’élève.
Ce sytème de récompenses ou de sanctions façonne le devenir du comportement en société.
En supprimant l’énergie du corps, l’intelligence qui est associée s’épuise également. La relation qui existe entre la vie et le corps attache une communication subtile et complexe sous forme d’intelligence. Si cette énergie est coupée le mythe culturel selon lequel la pensée passe exclusivement par la tête ne s’accorde pas. Supprimer l’énergie du corps revient à supprimer l’intelligence qui l’active.
Les cultures qui peuplent notre planète donne des expressions différentes sur l’intelligence. Au japon le mot « Hara » évoque une énergie vitale. Bien que la traduction en français identifie le « ventre » son sens est plus profond. Dans une douce subtilité de pratique il fait référence à une intelligence ancrée qui traduit des vérités plus profondes et une source de présence. Là où en français une expression comme « il a la tête sur les épaules » les Japonais diraient « il a un ventre bien développé ».
En Australie les Aborigènes, Anangu, qui signifie « être humain », désignent trois centres d’intelligence : la tête, le coeur et le ventre. Ce dernier étant considéré comme l’intelligence primaire. Ils considèrent la tête comme un filet de pêche emmêlé par les pensées.
Le bavardage incessant dans notre tête nous laisse vivre uniquement dans notre tête. Larry Merculieff poursuit la transmission de sagesse du peuple autochtone inuits, les Aléoutes des Îles Pribilof en Alaska. Il explique qu’à l’âge de sept ans, il pouvait passer des heures sans qu’un seul mot n’entre dans sa tête. C’est ainsi que les chasseurs cueilleurs s’alignaient avec le monde. Non pas en restant assis et pour discuter avec leur tête. Mais, en étant interactifs avec l’environnement, en ressentant l’intelligence du corps sans prononcer des mots.
Nous aspirons tous à un état de santé mental et physique. Le mot « santé » vient du latin pour exprimer « l’intégralité ». Pour la culture Okanagan, dont la vallée est située à la frontière de la Colombie-Britannique et les États-Unis, le mot « fou » se traduit littéralement par « parler, parler dans sa tête ». Ce que nous faisons pratiquement toute la journée et qui nous semble normal. Si nous rapprochons le latin et la langue Okanagan une évidence nous montre que se parler à soi-même dans sa tête nous éloigne d’un état de plénitude. Nos têtes restent occupées par nos préoccupations. Le corps ne pouvant plus parler avec le monde, c’est la tête qui se parle à elle-même. Nous affirmons que « deux têtes valent mieux qu’une », qu’en est-il de « deux coeurs valent mieux qu’un ». Nous passons plus de temps dans notre tête ou devant nos écrans à regarder le monde « extérieur » comme si en quelque sorte nous en étions séparé.
Nous entrons alors dans un ambiguïté. Cette tête qui commande, nous engage dans notre évolution et contribue à créer par la pensée. Pour autant, nous entendons, nous voyons, nous parlons, nous goûtons grâce au cerveau quiet dans la tête. C’est également une séparation avec la tête et le corps qui nous désincarne d’être d’une certaine manière. Nous « avons » un corps, nous ne parlons pas « d’être « un corps. Nous identifions le corps à un outil, une machine.
Cette relation descendante de la tête vers le corps est une analogie de notre relation au monde. Nous sommes éloignés de la vie du monde et comprenons la nature comme une machine dont les pièces assurent un fonctionnement. Mais nous ne la ressentons pas comme un miracle, comme une intelligence incarnée. Nous cherchons à la dominer parce que nous nous sommes attribué la capacité à contrôler l’intelligence.
Cette approche considère peu une autre forme d’intelligence qui se caractérise par la sensibilité et les émotions. Les réactions que nous avons face à une scène de film, les pleurs et les rires d’un enfant, le spectacle qu’offre un paysage de nature, une musique, un regard, les vagues de l’océan… Ces moments nous portent par notre sensibilité qui est une forme d’intelligence. Cette intelligence intégrée à notre corps constitue sa propre qualité à offrir une réactivité à chaque situation. La rétine devient réactive à la sensibilité de la lumière. La respiration change sa mécanique et sa chimie en fonction de l’émotion. Cette intelligence est notre fondement et nous la négligeons pour nous déconnectés à notre corps qui se perd et oubli.
La pratique d’exercices devient un apprentissage des modèles mécaniques appris qui sous forme de données enregistrées rapportent ce que les fonctions proprioceptives et intéroceptives offraient à l’intelligence du corps pour traduire le mouvement. Limitant ainsi une approche sensible et connectée entre corps et esprit. Voir et vivre le monde uniquement par la tête, nous rempli à collecter des informations ou une collection de données. Rien de plus qu’à confirmer notre séparation entre le monde et notre soi. Est-ce que la frontière de notre peau assume notre développement intellectuel et le rejet du monde vivant auquel nous appartenons ?
Nous affichons notre indépendance comme un fantasme. Nos relations au monde intérieur et extérieur ne confirment que l’univers fonctionne exclusivement sur l’interdépendance. Vivre uniquement dans sa tête nous dissocie de nos ressenties et nous place face au mirage d’indépendance qui est un état essentiellement désincarné. Cette dissociation éloigne le corps de ce qu’il connaît et ressent le plus profondément ce qui va à l’inverse de ce que l’indépendance affirme. Et ce que le corps ressent le plus profondément c’est le moment présent. Le corps est vivace, sensible, vibrant, réactif. Il se connecte ici et maintenant et s’accorde aux sensibilités du présent.
Notre indépendance est manoeuvrée par le désir de contrôle.
Dès que l’homme à chercher à maîtriser le feu il a montré une forme de contrôle sur son environnement. Son évolution s’écarte des liens et des relations avec son habitat naturel.
L’apparition de l’agriculture coïncide avec la notion de mauvaise herbe qui doit être tuée pour que la graine pousse. Avant cela les mauvaises herbes n’existaient pas. L’homme extermine alors tout ce qui atteint à sa production et cherche à contrôler son environnement, notamment en devenant propriétaire de la terre. L’arbre qui fait de l’ombre à la production doit être coupé pour que la plante s’épanouisse. Avant cela, l’homme ne se préoccupait pas de contrôler le monde, il vivait en harmonie avec lui grâce à la sensibilité de son corps. Cette sensibilité permettait de sentir les animaux dans la forêt, de savoir ou se trouvait l’eau, les changements de temps, de connaître les plantes qui soignent. Nous avons perdu cette précieuse intelligence et notre corps est perdu dans sa fonction de simple outil.
En 350 avant J.C., Platon dans le dialogue de Timée, propose une explication sur la façon dont les Dieux nous ont créés. Ils ont d’abord façonné une sphère divine basée sur les orbes des cieux (la tête). Réalisant qu’elle ne pouvait se déplacer dans le monde, ils lui ont donné un véhicule : des bras, des jambes et un tronc. Il y a près de 2500 ans le corps est déjà décrit comme un véhicule pour la tête. Dès lors, notre pensée est devenue de plus en plus abstraite et déconnectée du monde qui nous entoure.
Nos dérives sont multiples. Et ce n’est pas les versions d’une personnalisation d’un avatar dans le monde virtuel qui rétablira notre lien sensible au corps.
Le monde n’a pas besoin que nous lui dictions ou lui imposions un ordre. Il est déjà établi. Le besoin serait plus de le rejoindre dans son harmonie profonde pour rétablir l’équilibre.
Tout comme nous n’écoutons guère la personne avec qui nous discutons. Nous anticipons notre réponse sans porter une profonde attention à ce que l’autre raconte.
Nous le faisons sans fin avec nos pensées. Nos habitudes de vie conduisent à des comportements ruineux. Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle formule, revenir tout simplement à notre manière d’être. D’être à l’écoute du monde avec notre corps. Notre division écarte notre intelligence incarnée du corps. Notre unité nous invite à sortir de notre tête pour rejoindre un corps retrouvé. La respiration fait vivre ce mouvement et rétablie ce rapport. Respirez, restez en mouvement, restez en vie pour retrouver votre corps.
Inspiré par Philip Sheperd